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L’Histoire d'Hérodien,… ou Histoire des empereurs romains

L’Histoire d'Hérodien connue sous le titre d’Histoire des empereurs romains a été écrite par Hérodien et composée vers 240. Elle contient huit livres et renferme dans un espace de soixante années l’histoire de dix-sept empereurs, de la mort de Marc Aurèle (180) à Gordien III (238).

Son auteur, Hérodien (vers 170-vers 250), est un historien romain d’expression grecque. Il serait natif d’Asie mineure ou de Syrie. Il séjourna à Rome de la fin du IIe siècle aux années 240-250. Le peu que l’on sait de lui est tiré de son ouvrage lui-même. Il serait peut-être un chevalier ayant exercé des fonctions intermédiaires dans l’administration impériale.

Son œuvre n’est guère mieux connue car elle a été pendant très longtemps négligée par la critique lui reprochant son manque de précision ou son enflure rhétorique.

Son style et sa méthode s’inspirent de la tradition historique grecque issue de Thucydide. Il se serait également appuyé sur une œuvre perdue de Marius Maximus (vers 160-vers 230). Il dépeint un tableau coloré et très vivant de l’Empire romain en mutation dans une époque fertile en péripéties. À travers cette chronique politique et militaire, il perçoit assez nettement les dangers que sont les intrigues de cour, l’anarchie militaire, les particularismes provinciaux et finalement la poussée des barbares.

Si l’historiographie lui a préféré d’autres auteurs, comme son contemporain, Dion Cassius, dont l’Histoire s’arrête cependant en 229, Hérodien fut néanmoins le témoin oculaire de certains événements qu’il retranscrit, ce qui présente un intérêt historique non négligeable.

Une édition encouragée par Pontus de Tyard

Portrait de Pontus de TyardPontus de Tyard* fait éditer L’Histoire d'Hérodian, excellent historiographe, traitant de la vie des successeurs de Marc Aurèle à l’empire de Romme,… en 1554.

L’impression est confiée à Guillaume Rouillé*, libraire à Lyon, alors que Pontus de Tyard partage sa vie entre Bissy, Lyon où il publia ses premiers livres de poésie et connut Maurice Scève, Mâcon et Paris.

La première traduction latine de cette œuvre a été réalisée par Ange Politien  en 1487, la première édition grecque sera publiée en 1503, par les soins du célèbre imprimeur de Venise, Alde Manuce*.

L’édition réalisée grâce à Pontus est une édition translatée de grecq ["sic"] en françoys, par Jaques des contes de Vintemille. Il s’agit de la première traduction française éditée et elle est donc à mettre à l’actif de Tyard dans son rôle de défenseur de la langue française qui contribua à  l’établissement de son usage.

Henri Estienne*, autre humaniste célèbre, donnera une édition grecque et latine de ce texte en 1581.

Une traduction de Jacques de Vintimille

Jacques de Vintimille (1512-1582) est le traducteur de l’édition de 1554.

Il est né en 1512 à Rhodes et descend d’une noble famille génoise. Il arrive en France après la mort de ses parents lors de la prise de Rhodes en 1522 par le sultan Soliman le Magnifique. Il est en effet adopté par la grande famille lyonnaise des Vauzelles, très impliqués dans la vie publique et intellectuelle du XVIe siècle. C’est Georges Vauzelles (1492-1557), chevalier de l’ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem et compagnon d’armes du père du jeune Jacques de Vintimille tué pendant le siège, qui se charge de son éducation. Jacques de Vintimille devient juriste, homme de lettres et helléniste. Ami de Clément Marot et de Diane de Poitiers, il traduit pour François 1er la Cyropédie de Xénophon. En 1550, il est reçu conseiller au Parlement de Dijon et prendra part aux travaux de réformation de la Coutume de Bourgogne.

Jacques de Vintimille était un des amis de Pontus de Tyard et de Maurice Scève. Dans les pièces liminaires* de l’ouvrage, après la dédicace de Jacques de Vintimille au connétable Anne de Montmorency, puissant personnage et ami intime d’Henri II, on trouve celle de Pontus de Tyard qui s’adresse à Vintimille. Il avoue avoir dérobé la traduction, qu’il qualifie de « vertueux labeur », dans la bibliothèque de Vintimille afin de la faire publier et d’enrichir ainsi la langue française, car elle est « experte ». L’a-t-il réellement dérobée ou est-ce plutôt un artifice littéraire destiné à honorer un ami discret et modeste en insistant, au grand jour, sur le mérite de son travail ?

Le texte de Pontus est à son tour suivi de celui de Guillaume Des Autels*, Façon par douzains, qui loue Tyard pour cet heureux larcin, qu’il faut comprendre comme heureuse initiative de traduction.

Un exemplaire provenant de la bibliothèque Virey

L’exemplaire figurant dans les collections patrimoniales de la Bibliothèque municipale de Chalon-sur-Saône et acquis en 2019, présente un intérêt non négligeable puisqu’il s’agit d’un ouvrage ayant fait partie de la bibliothèque Virey.

Hérodien

L’Histoire d’Hérodian, excellent historiographe, traitant de la vie des successeurs de Marc Aurèle à l’empire de Romme, translatée de grecq ["sic"] en françoys, par Jaques des contes de Vintemille, Rhodien…

[Edité par Pontus de Tyard.]

Lyon : par G. Roville, 1554.

1 vol. ([8]-106-[2] ff.) : page de titre à encadrement, lettrines, bandeaux, cul-de-lampes, pièces limin., annotations manuscrites dans les marges : in-folio

[FL 1934/A

Sur la page de titre le décor à encadrement s’est assoupli pour laisser place à un cadre architectural antiquisant et symétrique constitué par l’illustration. Ici, quelques éléments caractéristiques : un mascaron central entre le cartouche du titre et celui de l’imprimeur, une caryatide et un atlante soutenant un fronton sur lequel se tient une Diane chasseresse qui rappelle Diane de Poitiers dont le traducteur, Jacques de Vintimille, était l’ami.

Un réseau d’hommes de lettres chalonnais se vouant à l’étude illustre la vie intellectuelle de Chalon au milieu du XVIe siècle jusqu’en 1650 environ. Certains d’entre eux entretiennent des liens avec Pontus de Tyard de son vivant, d’autres seront influencés par son exemple.

Parmi eux se distingue Claude-Énoch Virey (1566-1636)*, humaniste, poète, épistolier et bibliophile, qui constitue une riche bibliothèque, dans l’hôtel particulier qu’il a fait construire vers 1612 et qui devient le rendez-vous de la société littéraire chalonnaise, composée de ses amis avocats, jurisconsultes, médecins, civils ou ecclésiastiques.

La bibliothèque de Claude-Énoch Virey contenait non seulement des ouvrages imprimés mais aussi des manuscrits qu’il avait acquis, des manuscrits qu’il recopiait, comme La chronologie des évêques de Chalon de Pierre Naturel (1502-1582)* ou des manuscrits qu’il composait lui-même.

Ainsi, le manuscrit MS 36 Poésies de Claude-Enoch Virey conservé à la Bibliothèque municipale de Chalon, recueil annoté et corrigé de la main de Claude-Énoch Virey, contient huit poèmes, latins ou français, et concernant en particulier ses voyages en Italie lorsqu’il était secrétaire du prince de Condé. Un des textes les plus intéressants est le poème consacré à la fuite hors de France du prince et de la princesse de Condé, Charlotte de Trémoille pour soustraire cette dernière aux assiduités d’Henri IV.

Armoiries de Claude-Énoch VIreyDès le XVIe siècle, presque toutes les éditions sont reliées et la reliure est le complément nécessaire à leur vente. Les imprimeurs-éditeurs et les libraires font appel aux services d’artisans qui travaillent pour une clientèle non fortunée. Très vite on distingue les reliures de libraires courantes, les reliures d’amateurs, et les reliures à décor. Ces dernières étaient des reliures créées à la demande du possesseur pour répondre à certaines exigences. C’est à cette catégorie qu’appartenait un certain nombre d’ouvrages de la bibliothèque Virey, ouvrages aux reliures armoriées, genre très en vogue.

Claude-Énoch, anobli sous Louis XIII, fait figurer ses armes sur les reliures de sa bibliothèque : écartelées aux 1 et 4 de gueules à deux épieux d’or en sautoir, la pointe en haut ; aux 2 et 3, d’or, semé de lis, d’œillets et de roses de gueules.

L’écusson est entouré d’une guirlande de feuilles de laurier avec une lampe antique allumée au sommet accompagnée de « Hac iter est » ou « Pandit iter » (Voilà le chemin, la lumière, c’est-à-dire l’étude). Pour lui, c’est donc dans la culture et l’étude que réside l’essentiel.

Cette bibliothèque fut par la suite augmentée par son fils, Jean-Christofle Virey*.

 

Une reliure affichant le chagrin de Jean-Christofle Virey

Conseiller-maître à la Chambre des comptes de Dijon, Jean-Christofle Virey est un bibliophile, tout comme son père. Il hérite de sa collection de livres qu’il augmente et dont il fait relier de nombreux volumes.

Veuf inconsolable, il fait faire pour un certain nombre de livres, des reliures spéciales. Il s’agit de reliures funéraires en hommage à sa défunte épouse, Bonne Galoys morte en 1644. Parmi ces ouvrages, L’Histoire d'Hérodian, excellent historiographe, traitant de la vie des successeurs de Marc Aurèle… éditée par Pontus de Tyard.

Plat de la reliureCes reliures funéraires faites de parchemin furent confectionnées jusqu’en 1655.Dos de la reliure

Elles affichent le chagrin éternel de Christofle : l’ornementation est inspirée du décor "à encadrements", l’un des principaux genres utilisés au XVIIe siècle avec l’utilisation de filets disposés sur les bords des plats, de fleurons aux quatre angles (écoinçons) et d’un motif central.

Au centre, on distingue le nom Jean-Christofle Virey entourant les armes de sa famille : écartelées aux 1 et 4 de gueules à deux épieux d’or en sautoir, la pointe en haut ; aux 2 et 3, d’or, semé de lis, d’œillets et de roses de gueules. Elles sont surmontées d’une urne sur laquelle se lit « B. Galoys cineres » (Les cendres de Bonne Galoys), entourée d’une légende disposée en demi-cercle « Hinc omnes exctincti ignes » (Par là tous mes feux sont éteints). En guise d’écoinçons, aux quatre angles de l’encadrement, on trouve le monogramme « B.G. » (Bonne Galoys).

Les dos portent également le monogramme « B.G. ».

Le décor de ces reliures funéraires est à rapprocher de celui des reliures Virey antérieures et qui portaient le nom de son père, Claude-Énoch. L’urne funéraire a remplacé la lampe de la connaissance et l’inscription « Hinc omnes exctincti ignes » (Par là tous mes feux sont éteints), la devise « Hac iter est » (Voilà le chemin, la lumière).

Par la suite, Jean-Christofle entrera dans les ordres pour devenir chanoine, archidiacre et doyen de la collégiale Saint-Georges.

 

Le devenir de la bibliothèque Virey

Les ouvrages de la bibliothèque Virey sont alors légués au Collège de Chalon qui les aurait laissés se disperser au cours du XVIIIe siècle. La Bibliothèque municipale de Chalon n’en possède donc qu’une infime partie, parvenue jusqu’à nous principalement par le biais des confiscations révolutionnaires, soit sept ouvrages repérés à ce jour dont cinq portant une reliure funéraire et deux sans reliure distinctive mais portant un ex-libris manuscrit.

Par le jeu des dispersions du XVIIIe siècle et des siècles suivants, des particuliers et d’autres bibliothèques que celle de Chalon, ont des ouvrages de la bibliothèque Virey dans leurs collections, comme la Bibliothèque nationale de France, la British Library, les bibliothèques municipales de Beaune, de Lyon (37 références) ou de Mâcon dont la bibliothèque numérique présente un manuscrit (cote MS 94) de La Thébaïde de Stace (40-96 après J.-C.) écrit sur parchemin au XIIIe siècle, et acquis par la ville de Mâcon à la vente de la bibliothèque de Lamartine à Saint-Point en 1894.

 

* Vous pourrez trouver des explications et des informations sur les termes et les noms portant un astérisque, en allant sur les rubriques de Comprendre le patrimoine.