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Cabinet des Fées

Gravure du conte Peau d'Âne

Il était une fois le Cabinet des Fées, recueil visant à réunir les contes de la fin du XVIIe, et du XVIIIe siècle.

Le conte de fées

Qu’est-ce que c’est ?

Dans son essai Du conte de fées, J. R. R. Tolkien le définit non pas comme

des histoires sur les fées ou les elfes, mais sur la Faërie, royaume ou état dans lequel les fées ont leur être. La Faërie comprend maintes autres choses que les elfes et les fées, ou les nains, les sorcières, les trolls, les géants et les dragons : elle englobe les mers, le soleil, la lune, le ciel et aussi la terre et tout ce qu’elle contient [...].

Dans ce monde secondaire, les personnages sont souvent anonymes, le temps et l’espace varient, et toutes sortes de créatures y vivent.

Le conte de fées comprend aussi une structure narrative précise : un parcours initiatique où le personnage principal subit un méfait, et doit traverser des épreuves remettant en cause son existence, pour obtenir une nouvelle situation stable.

Pour en savoir plus

Expositions virtuelles de la Bibliothèque nationale de France :

Podcasts à écouter de France Culture : Contes

Le Cabinet des Fées numérisé : archive.org

D'autres contes à lire en ligne : Tous les contes

Collectif

Cabinet des fées, ou Collection choisie des contes de fées, et autres contes merveilleux

Compilé par le chevalier Charles-Joseph Mayer

Illustration d’après les dessins de Clément-Pierre Marillier

Genève : Barde, Manget et Cie ; Paris : Cuchet, 1785-1789

41 tomes en 21 vol. : in-12

[in-12 793/6

Pour qui ?

 

On distingue deux types de contes de fées :

  • les contes pour enfants mettant en scène des peurs enfantines dont l’objectif est de réunir la famille ;
  • les contes pour pré-adultes mettant en scène les rituels de séduction et les affaires conjugales.

 

Le corpus des contes existants n’est en fait pas spécifiquement destiné aux enfants. Le parcours initiatique correspond souvent au passage de l’adolescence à l’âge adulte avec des questionnements du personnage principal sur son identité, sa sexualité, son statut et son intégration dans la société.

D’où vient-il ?

L’origine du conte de fées est floue, mais on retrouve un corpus universel qui s’explique par le questionnement auquel le conte essaie de répondre : la condition de l’être humain dans le temps et l’espace.

Le conte restera très longtemps dans la tradition orale, transmis en d’infinies variantes et sur des structures mouvantes s’adaptant à son époque.

C’est l’Italie qui verra naître les initiateurs de ce genre littéraire avec Boccace et son Décaméron (1349-1353), premier à mettre en place le récit-cadre : un personnage raconte chaque soir une histoire. Modèle repris par Straparola dans ses Nuits facétieuses (1550-1553), et par Basile dans son Pentamerone (1625), connu comme Le Conte des contes.

Mais c’est à Charles Perrault que l’on doit la naissance du conte de fées en tant que genre littéraire avec la parution de ses Contes de ma mère l’Oye (1697). Le genre oral, alors méprisé, acquiert ses lettres de noblesse.

La mode du conte de fées aux XVIIe et XVIIIe siècle

Gravure du conte Prince TitiLa première vague (1690-1702)

À la fin du XVIIe siècle, le conte de fées devient un véritable jeu de cour et de salon où des hommes et des femmes rivalisent d’esprit et de style. Cet engouement répondrait à un besoin d’évasion d’une noblesse désœuvrée.

Dans le contexte de la querelle des Anciens et des Modernes (1688-1695), l’utilisation des contes de fées pourrait être une stratégie des Modernes pour réhabiliter le folklore national et médiéval contre les Anciens, fidèles à l’héritage antique.Gravure du conte Petit Poucet

Toutefois les contes écrits ne sont guère liés à la tradition folklorique qui est transformée pour correspondre aux goûts de l’époque. Le conte devient une œuvre littéraire : il s’agit des « contes de fées littéraires » ou « contes à la française ». Cette mode va s’essouffler avec le XVIIIe siècle.

 

La deuxième vague (1730-1758)

Cependant, à partir des années 1730, on observe un regain d'intérêt pour le conte de fées.

Le XVIIIe siècle projette sur cette mode les préoccupations et les goûts de son temps : le moralisme et la didactique. Le conte de fées devient pédagogique avec un goût prononcé pour la morale.

Il est ensuite détourné vers la parodie dont le recul va aboutir à la prolifération des contes libertins.

Le Cabinet des Fées du chevalier de Mayer est un témoignage de cette mode de la fin du XVIIe jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, qui a inspiré tant de contes de fées.

 

Le Cabinet des Fées

L’édition

Charles-Joseph Mayer (1751-1825) fait paraître son Cabinet des Fées, ou Collections choisie des contes de fées ou autres contes merveilleux de 1785 à 1789 en 41 tomes.

Il rassemble les contes de fées de la fin du XVIIe, et du XVIIIe siècle dans le but de les préserver de l'oubli et de mettre à jour, pour les futures générations, une source d’inspiration féconde.

Il s’agit avant tout d’une compilation, sans distinction entre les différents types de contes, connus ou oubliés, et excluant les contes libertins.

Mais ce recueil est la première entreprise scientifique de collecte des contes. L’éditeur y donne le premier essai de synthèse critique sur le conte merveilleux et ses origines, ainsi que l’identification de 101 conteurs et leurs notices biographiques.

Il fige aussi le conte de fées, imposant dans notre référent culturel sa forme classique, précieuse et rococo, comme l’archétype du merveilleux.

 

Les conteurs

Le Cabinet des Fées réunit les textes d’une quarantaine d’auteurs. En voici une sélection.

Portrait de Charles PerraultIssu de la haute bourgeoisie parlementaire et érudite, il entre au service de Colbert en 1663 et est élu à l’Académie française en 1671, ce qui marque l’apogée de sa carrière politique et de son ascension sociale, avant d’être écarté du pouvoir à la mort de Colbert en 1683. Veuf depuis 1678, il se consacre à l’éducation de ses enfants et à sa réflexion sur la prééminence de son époque sur l’Antiquité : sa lecture publique devant l’Académie française de son poème Le Siècle de Louis le Grand débute la Querelle des Anciens et des Modernes (1687). C’est dans ce contexte qu’il rédige ses contes de fées, genre qu’il tient pour « moderne » par excellence. Composés à partir de 1691, les contes de fées de Perrault comprennent 3 récits en vers et 8 contes en proses. Les récits en vers, publiés en 1694, comprennent la nouvelle Grisélidis, et les contes Les Souhaits ridicules et Peau d’Âne. Les récits en prose, édités en 1697 sous le titre plus connu des Contes de ma Mère l’Oye réunissent La Belle au Bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe-bleue, Le Maître Chat ou le Chat botté, Cendrillon, Le Petit Poucet, Les Fées, et Riquet à la houppe.

Portrait de Madame d'AulnoyC’est à Madame d’Aulnoy que revient l’honneur d’avoir initié la mode des contes en 1690 avec le conte L’Île de la Félicité, inséré dans l’Histoire d’Hypolite, comte de Duglas. Elle est donc considérée comme l’un des auteurs fondateurs du conte de fées littéraire auquel elle insuffle un esprit subversif, en utilisant les allégories et la satire. Elle est surnommée le « Rabelais féminin » du fait de son grand sens de l’observation, d’une remarquable finesse dans son analyse des sentiments, et d’une fantaisie extrême dans ses écrits, notamment dans ses contes compilés dans Les Contes de Fées et Les Fées à la Mode.

Portrait de la comtesse de MuratLa comtesse de Murat participe activement avec de grandes qualités littéraires et avec originalité à la mode des contes de fées, notamment par son recueil Nouveaux Contes de Fées. Elle entraîne souvent le lecteur dans des textes sophistiqués, loin de la simplicité affichée des contes de Perrault. D’assez longs passages descriptifs interrompent la narration et participent activement à l’immersion dans l’univers du merveilleux et l’idée d’exubérance. Sa maîtrise des lois du genre et son expression des conceptions de l’amour sur un ton badin font que ses contes de fées l’ont rendue célèbre en son époque.

Filleul de Louis XIV, connu sous le titre de Chevalier de Mailly, il fait partie de la première génération des conteurs littéraires. Avec ses Illustres fées, son Recueil de contes galants et son Nouveau recueil de contes de fées, le Chevalier de Mailly a publié 25 contes originaux, ce qui en fait l'un des auteurs les plus prolifiques de son époque. L'ensemble de son œuvre est dominé par la mode de la préciosité et de la galanterie. Malgré son talent, il sera rapidement oublié.

La comtesse d’Auneuil tenait un salon appelé « Le cabinet des fées ». Pour elle, les fées avaient gagné un énorme pouvoir sur le genre, et elle décide d’en faire de véritables ennemies, ce que montrent plusieurs de ses contes notamment La Tyrannie des Fées détruite (1702), symbole de l’essoufflement de la mode du conte de fées. Elle présente également dans ses autres contes une perspective critique sur l'amour en rejetant une fin heureuse.

Mademoiselle de La Force a participé à la vogue des contes de fées avec les recueils Les Fées, contes des contes et Les Contes des fées. Elle est surtout connue pour ses romans historiques dans la veine des « histoires secrètes » très populaires en son temps : de courts romans relatant l’histoire secrète d’une personne célèbre et dont l'action est généralement liée à une intrigue amoureuse. Ses romans ont eu beaucoup de succès en Europe au XVIIIe siècle.

Portrait d'Antoine GallandOrientaliste, il est l’auteur de la première traduction française des Mille et une Nuits, recueil anonyme écrit à l’origine en langue arabe et regroupant des contes populaires arabes, persans et indiens. Les célèbres contes de Sinbad le marin, Aladin et la lampe merveilleuse et Ali Baba et les quarante voleurs seraient des contes racontés à Galland par un de ses informateurs et qu’il aurait ensuite ajoutés au recueil. Il adapte l’histoire des Mille et une Nuits au goût de son époque en faisant un texte plus littéraire se rapprochant du conte de fées. L’ouvrage connaît un succès immédiat en Europe et sera le texte de référence pendant plus d’un siècle. Sa traduction sera complétée par celle de Jacques Cazotte et Denis Chavis, sous le titre Les Veillées du Sultan Schahriar. Le succès des Mille et une Nuits a pour effet une multiplication de contes qui n’ont d’arabe, persan, chinois, turc, etc, que le nom.

Profitant du succès des Milles et une Nuits, Pétis de la Croix se présente comme le traducteur de contes orientaux, comme pour Les Mille et un jours, contes persans dont on ne retrouva jamais le texte original. Il se tient ainsi à mi-chemin entre la création littéraire, la traduction, l’adaptation et la supercherie. Il réitérera, notamment avec des contes turcs dans L’Histoire de la Sultane des Perses et des Visirs.

Gueulette est surtout connu pour la publication de nombreux contes d’un caractère amusant et d’une forme agréable reprenant souvent le principe du récit-cadre. On peut citer Les Contes Chinois ou les aventures merveilleuses du mandarin Fum-Hoam, Les Mille et un quart d’heure, Les Sultanes de Guzarate, et, moins exotiques, Les Soirées Bretonnes.

Portrait d'Anthony HamiltonÉcrivain écossais d’expression française, il est le descendant d’une famille de vieille noblesse catholique exilée en France. Agacé par la vogue des contes merveilleux, Hamilton entreprend de montrer à son entourage qu’il n'est pas difficile d’en composer. Il y démontre un tel art dans l'ironie déconstructrice qu’on le considère comme l'initiateur du conte satirique et libertin du XVIIIe siècle. Ses contes les plus connus sont Le Bélier, Fleur d’Épine, et Les Quatre Facardins.

Portrait du comte de CaylusConnu sous le nom de Comte de Caylus, il abandonne une prometteuse carrière militaire pour se consacrer à l’étude des arts. Outre des publications sur les arts et les antiquités, il est l’auteur de contes érotiques mais aussi de contes de fées réunis dans les recueils Les Fééries nouvelles, et les Nouveaux contes orientaux, ainsi que les contes Cadichon et Jeannette ou l’indiscrétion.

Portrait de Madame de VilleneuveDevenue veuve à 26 ans et sans ressources, Madame de Villeneuve se lance dans une carrière littéraire, notamment avec le conte de La Belle et la Bête, publié dans le recueil anonyme La Jeune Américaine et les contes marins (1740) où différents passagers d’une traversée maritime se racontent des histoires pour passer le temps. Le conte de La Belle et la Bête ne rencontre véritablement le succès que lorsqu’il sera abrégé et repris par Marie Leprince de Beaumont. C’est sur cette version raccourcie que seront basées la plupart des adaptations ultérieures.

Portrait de Madame Leprince de BeaumontMadame Leprince de Beaumont est considérée comme le « Rousseau féminin » du fait de son engagement dans l’éducation des enfants et de son renouveau de la pédagogie. Elle dénonce le « merveilleux ridicule » des conteurs précédents et dose savamment la féerie et la morale. Elle publiera 70 volumes intitulés Contes Moraux. Malheureusement, la postérité n’en retiendra qu’un seul conte, La Belle et la Bête (1756), qui est en fait une version abrégée pour les enfants du conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve.

Portrait de Charles Pinot DuclosProtégé de Madame de Pompadour, il fait ses débuts littéraires dans les recueils de facéties. Son roman féérique, Acajou et Zirphile, est composé à la suite d’un pari pour accompagner des estampes déjà dessinées par son ami François Boucher pour un autre texte. Il détourne ainsi le conte de fées pour en faire une parodie où le motif de l’objet miraculeux est incarné par un pot de chambre.

Portrait de Jacques CazotteOriginaire de Dijon, Jacques Cazotte est un auteur autant exalté qu’inspiré. Il possède une vision personnelle de l’histoire qu’il considère comme une succession de luttes du bien contre le mal. Il est l’un des traducteurs des Veillées du Sultan Schahriar, suite des Mille et une Nuits. Il reste connu pour son roman Le Diable amoureux (1772), texte considéré comme précurseur du récit fantastique.

L’illustration

Chaque tome du Cabinet des Fées est illustré de 3 gravures. Ces 120 figures vont révolutionner l’illustration du conte de fées par leur nombre, la qualité de leur exécution, leur force d’évocation et leur dimension.

Les gravures représentent des scènes galantes dans le pur style rococo, et des personnages vêtus dans un style contemporain. Ainsi, elles reflètent avec fidélité leur époque en faisant appel à la culture visuelle du public mondain.

Fait notable, c’est dans le Cabinet des Fées qu’apparaissent les premières illustrations françaises pour les Mille et une Nuits.

Près de 110 illustrations sont le travail de Clément-Pierre Marillier (1740-1808), originaire de Dijon. Il fait partie des dessinateurs les plus en vogue du XVIIIe siècle.

Pas moins de 31 graveurs sont requis pour fournir les illustrations. Emmanuel de Ghendt (1738-1815) fournit à lui seul 20 gravures. Il est considéré comme l'un des meilleurs et des plus prolifiques graveurs du XVIIIe siècle. Il devient, au fil du temps, le graveur attitré de Clément-Pierre Marillier.

Le travail a été réalisé sous la direction de Nicolas Delaunay (1739-1792). Graveur du roi, il exécutera 31 gravures pour le Cabinet des Fées.

Avec les gravures de ce recueil, c’est tout un pan de la littérature qui s’ouvre à l’illustration.

Symboliquement, le Cabinet des Fées est à la fois la consécration de cent ans de féerie française et le tombeau des contes de fées littéraires.

Au XIXe siècle, les contes de fées ne seront pas oubliés. Suite à leur collecte scientifique de contes folkloriques, les frères Grimm publient les Contes de l’enfance et du foyer (1812) dont certains contes sont en fait des dérivés de ceux qui étaient contenus dans le Cabinet des Fées. C’est le même cas en Angleterre dans les Fairy Books (1889-1910) d’Andrew Lang.

Ainsi les contes de fées vécurent heureux, et eurent beaucoup d’enfants !