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Scènes de la vie privée et publique des animaux

Caricature zoomorphe

Scènes de la vie privée et publique des animaux : études de mœurs contemporaines

Publiées sous la direction de M. P.-J. Stahl ; vignettes par Grandville.

Paris : J. Hetzel et Paulin, 1842.

2 vol. (386 p.-[98] f. de pl.; 390 p.-[106] f. de pl.) : ill. : 27 cm.

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Le XIXe siècle : un siècle de changement

C’est dans un contexte politique mouvementé que la caricature devient le médium utilisé pour diffuser la vision satirique d’une société en plein bouleversement.

La presse puis la littérature, grâce aux progrès techniques, vont permettre au texte de dialoguer avec l’image jusqu’à ce que l’iconographie se suffise à elle-même.

L’éditeur, nouvel acteur de la vie culturelle, devient quant à lui le chef d’orchestre de projets éditoriaux : il dirige, cadre et encadre laissant peu de place, parfois, à l’improvisation.

Naissance d’un projet éditorial : un éditeur, un illustrateur et plusieurs auteurs

Au milieu du XIXe siècle, alors que les livres illustrés connaissent une grande popularité, Pierre Jules Hetzel, jeune éditeur propose au maître du zoomorphisme Jean-Jacques Grandville d’illustrer son œuvre : Scènes de la vie privée et publique des animaux.

Cet ouvrage, dans lequel les animaux sont les protagonistes de l’histoire, paraît d’abord sous la forme d’un feuilleton en cent livraisons, de 1840 à 1842, avant d’être publié en deux volumes.

Le contexte intellectuel et scientifique contribue à l’émergence d’un tel projet. D’un côté, le règne animal fascine, de l’autre l’analogie entre les classes du règne animale et les classes  sociales humaines est en train de poindre. A cela s’ajoute, un engouement pour l’étude de la société via le prisme du classement. 

Pour parfaire son dessein, Hetzel décide de convier douze auteurs (Charles Nodier, Alfred de Musset, Honoré de Balzac…) à participer à l’écriture des textes, misant ainsi sur la diversité stylistique de chacun.

 

Un nouveau genre littéraire : la littérature dite « panoramique »

La littérature panoramique ou physiologie est un genre littéraire très en vogue au milieu du XIXe siècle. Il s’agit d’une caricature de mœurs décrivant les caractéristiques et comportements d’un groupe social ou professionnel.

L’ouvrage Scènes de la vie privée et publique des animaux s’inscrit dans cette veine. A travers ces diverses saynètes, dans lesquelles les animaux jouent des rôles, les auteurs décrivent la société et les différentes facettes qui la composent. Grandville, par ses illustrations, transforme cette comédie humaine en comédie animale. Il puise dans son bestiaire anthropomorphe pour créer les types qui reflètent le mieux la société du XIXe siècle.

Un dispositif éditorial réfléchi

Hetzel construit son ouvrage comme un projet dans lequel d’ailleurs il endosse deux rôles : l’éditeur, celui qui pense la réalisation, et l’écrivain, celui qui contribue à la réalisation.

En tant qu’éditeur, il travaille de façon organisée et précise. Il fixe le cadre et transmet ses exigences aux auteurs : éviter les redondances dans le choix des animaux, s’identifier de préférence à l’animal et rédiger son récit à la première personne. L’écrivain se met ainsi à la place de l’animal, ce qui confère d’ailleurs un aspect novateur dans la littérature animalière.

La responsabilité de l’illustration est donnée à Grandville, dont la notoriété n’est plus à faire. L’animal prend alors le pas sur l’humain. Dans la fable, l’homme avait toujours été l’historien, le raconteur. Ici, c’est l’animal qui s’inquiète de l’homme. Il est ainsi devenu, à son tour, le chroniqueur, le juge.

Grandville part du postulat que l’homme n’est guère différent de l’animal. Il va d’ailleurs s’appuyer sur les travaux de Lavater (la physiognomonie, ou étude de l'influence des caractéristiques psychiques d'un individu sur son aspect physique) pour imaginer et construire ses illustrations qui oscillent entre l’être monstrueux et la métamorphose.

L’illustration vient compléter le texte ponctué d’un lexique animalier mais elle est surtout à la base du processus satirique mis en place par les auteurs à la demande de l’éditeur. La caricature est alors au service d’une description acide des mœurs et des vices de la société.

 

Influence Balzacienne au cœur de l’ouvrage

Balzac a une place particulière dans la réalisation de ce projet éditorial. Tout d’abord, il est l’un des premiers à travailler, dès les années 1830, sur les similitudes entre les espèces animales et les espèces sociales. Ensuite, il a participé à la rédaction d’un autre ouvrage de physiologie Les Français peints par eux-mêmes. Enfin, à la même époque il commence à travailler sur la Comédie Humaine, œuvre littéraire célèbre représentative de la littérature dite "panoramique".

Ce n’est donc pas par hasard si les Scènes de la vie publique abondent de références à Balzac. Il s’agit même d’un véritable hommage. Malgré cela, Hetzel ne peut s’empêcher d’accompagner cette dédicace d’une réécriture masquée parfois sous la plume de Stahl.

Un exemplaire unique

L’exemplaire de la bibliothèque de Chalon-sur-Saône a été acquis auprès d'un libraire ancien en 2017. Il fait partie des achats rétrospectifs réalisés chaque année pour les collections patrimoniales afin de les compléter et les enrichir tout en répondant aux axes fixés dans le cadre de la politique d’acquisition patrimoniale.

Cet ouvrage est une édition originale de 1842 qui ne possède cependant pas le prospectus rédigé par M. Stahl/Hetzel dans lequel il fait à nouveau l’éloge de Grandville et qui pose la question de savoir à qui s’adresse ce livre : les scientifiques ou les philosophes, les érudits ou les néophytes, les petits ou les grands… Selon l’éditeur, il s’agit d’un livre familial dans lequel chacun pourra trouver un "éclairage" sur la société.

 

Conclusion

Finalement, ces animaux sont là pour raconter avant tout la vie et les mœurs d’un siècle où une nouvelle ère du visuel est inaugurée et largement mise en avant par Hetzel.

Tout au long de cet ouvrage, les animaux restent les héros et sont pourvus d’un regard grâce à l’architecte Hetzel, d’un corps grâce au dessinateur Grandville et d’une parole notamment grâce à Balzac. Il ne manque plus qu’à ces personnages qu’une vie intérieure !