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Historia animalium de Conrad Gesner

Planche de silure

Éditée de 1551 à 1587, l’Historia animalium, ou Histoire des animaux, de Conrad Gesner est le plus important ouvrage de zoologie jamais publié. L’auteur est considéré comme le premier zoologiste des temps modernes et sera souvent copié par ses successeurs.

Brève histoire de la zoologie

Au Moyen Âge, la zoologie doit s’adapter aux croyances de son temps : les représentations d’animaux ont un sens symbolique qui décrit leurs caractéristiques physiques et leurs comportements pour en tirer une interprétation religieuse. On trouve même dans les bestiaires, des animaux imaginaires puisque les auteurs de cette époque ne s’appuient pas sur l’observation de la nature : ils se réfèrent aux textes de leurs précurseurs de l’Antiquité, et à la Bible.

C’est grâce à la civilisation arabe que l’observation de l’animal se développe. La civilisation occidentale s’est ouverte aux connaissances du monde oriental grâce aux croisades, aux compilateurs des XIIe et XIIIe siècles, à l’exil des lettrés suite à la chute de Constantinople en 1453, et à l’ouverture de la route des Indes en 1488.

À la Renaissance, les naturalistes doivent vaincre des résistances pour justifier un discours autonome sur les animaux. En effet, la zoologie est jugée inutile et vulgaire. Nombre d’ouvrages centrés sur la faune justifient cette orientation par des usages pratiques : utilisations médicales, interprétations symboliques, applications agricoles, ou encore glorification de l’œuvre de Dieu.

Si la zoologie a pu se développer, c’est grâce à l’humanisme, et au retour aux sources originelles. Jusqu’aux années 1530, la production de livres sur la nature se limite à la publication des œuvres antiques. Peu à peu, les savants vont prendre leurs distances avec ce patrimoine en cherchant à revenir aux textes d’origine. C’est dans les années 1550-1560 que l’on assiste à une explosion de publications originales. Identifiant les animaux décrits lors de l’Antiquité, les naturalistes reprennent dans leurs ouvrages les connaissances des Anciens, enrichies de leurs observations et commentaires ainsi que de gravures d’animaux, souvent réalisées à partir de leurs propres dessins. Se construisent alors des monuments d’érudition, vastes encyclopédies tentant de rassembler l’intégralité du savoir.

Après 1560, aucun grand travail de synthèse zoologique ne voit le jour.

 

Conrad Gesner (1516-1565)

Conrad Gesner fut à la fois un remarquable compilateur, un philosophe, un humaniste et un monument d’érudition (y compris en botanique et en paléontologie).

Après la mort de son père, marchand fourreur à Zurich, le jeune Gesner voyage à Strasbourg, à Bourges, puis à Paris où il étudie l’hébreu et les textes bibliques, ainsi que la philosophie et la médecine. Les persécutions religieuses l’incitent à regagner Zurich où il se marie en 1536. En 1540-1541, il suit à Montpellier les cours de deux grands zoologistes : Guillaume Rondelet et Pierre Belon. Devenu médecin, Gesner s’établit définitivement à Zurich en 1542. Il vit grâce à un poste de professeur, et occupe ses loisirs à la recherche et à l’écriture.

Il publie plusieurs ouvrages : un dictionnaire gréco-latin, deux traités de médecine, un catalogue des noms de plantes en quatre langues, et un petit livre sur le lait et les produits laitiers. Sa Bibliothèque universelle, premier ouvrage de bibliographie où il présente l’intégralité des livres connus à son époque, lui demande trois ans de travail.

Planche de poissonPourtant, Gesner trouve le temps d’effectuer quelques voyages à l’étranger, et collectionne des spécimens d’animaux, de plantes, de fossiles et de minéraux, qu’il expose. Il est en effet le créateur du plus ancien cabinet d’histoire naturelle connu et d’un jardin botanique, et le premier à établir une collection de fossiles. Il reçoit des échantillons en provenance du monde entier.

Son Historia animalium, publiée à partir de 1551, lui coûte beaucoup d’efforts et beaucoup d’argent : il dessine lui-même et fait graver à ses frais la plupart des figures. Il continue parallèlement à écrire d’autres ouvrages : un livre sur les procédés de distillation, un autre sur les eaux minérales, des commentaires philosophiques d’Aristote, des dictionnaires, etc.

Surmené, il tombe gravement malade en 1552. Il se rétablit mais a brutalement vieilli. En 1564, il est anobli par l’empereur Ferdinand Ier. La même année, la peste touche Zurich et Gesner soigne avec dévouement ses amis atteints. Il rédige un traité sur cette maladie, à laquelle il succombera en 1565.

 

L’Historia animalium

Page de titreSon ouvrage le plus célèbre est l’Historia animalium, publiée de 1551 à 1587 en 5 tomes. Il s’agit certainement de la plus importante œuvre de zoologie jamais publiée.

Chaque volume traite un ensemble zoologique en suivant la classification d’Aristote, qui oppose les animaux qui ont du sang (les vertébrés) aux animaux qui n’en ont pas (les invertébrés). Ainsi, le premier tome porte sur les quadrupèdes vivipares (1551), le deuxième tome sur les quadrupèdes ovipares (1554), le troisième tome sur les oiseaux (1555), et le quatrième tome sur les poissons (1558). Le cinquième tome posthume, portant sur les serpents, est publié en 1587. Gesner avait en projet un sixième tome sur les insectes qui ne paraîtra jamais.

Dans chaque tome, les animaux sont classés par ordre alphabétique des noms latins. En effet, Gesner désignait l’Historia animalium comme un livre ne devant pas être lu de bout en bout mais à utiliser comme un dictionnaire. La taxinomie de Gesner est composée d’une appellation latine de deux mots : le premier concerne le genre, suivi d’un qualificatif. Ce système sera utilisé par d’autres naturalistes comme Carl von Linné, père de la taxinomie moderne. Chaque article consacré à un animal comporte plusieurs rubriques portant sur la synonymie, l’habitat et la morphologie, la physiologie, les mœurs, les utilités, le rôle alimentaire, les intérêts médicaux et enfin tout ce qui peut encore être ajouté, étymologies, fables, proverbes, etc.

Ce que Gesner entreprend de réaliser n’est pas moins que la description de l’ensemble des espèces animales du monde. Mais ayant habité Zurich la majeure partie de sa vie, il ne se sert jamais d’observations directes mais il compile l’ensemble des descriptions animales tirées du corpus d’auteurs anciens et modernes afin d’établir un inventaire des savoirs sur les animaux à travers l’histoire. Il ne supprime pas les descriptions contradictoires ou fausses, d’animaux existants mais les juxtapose, et il conserve celles d’animaux dont l’existence est incertaine. Son ouvrage comprend ainsi les espèces domestiques, les animaux mythologiques, les espèces exotiques, ainsi qu’un certain nombre de monstres.Planche d'éléphant

 

L’illustration

Les descriptions zoologiques de Gesner sont complétées aussi souvent que possible par des illustrations. L’ensemble ne compte pas moins de 1 500 gravures sur bois.

Pour Gesner, l’illustration est destinée à instruire. Comme pour les textes, il réalise un véritable travail scientifique en les dessinant lui-même soit d’après nature avec des spécimens vivants, morts, séchés, etc., soit en citant scrupuleusement ses sources. En outre, pour des raisons d’exactitude scientifique, chaque impression était colorée à la main avant d’être vendue.

Planche de rhinocérosL’image la plus célèbre est sans doute le Rhinocéros d’Albrecht Dürer, datée de 1515. L’image est fondée sur une description écrite et un bref croquis réalisé par un artiste inconnu, d’un rhinocéros indien débarqué à Lisbonne dans l’année. Dürer n’a jamais observé ce rhinocéros. En dépit de ses inexactitudes anatomiques, cette gravure devient très populaire en Europe : elle sera considérée comme une représentation réaliste d’un rhinocéros jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Les illustrations de Gesner constituent peut-être l’aspect le plus original de son œuvre, et sa contribution majeure à la zoologie.